Malgré la célébrité de l’homme et de la ville de Yanga, il subsiste sur eux quelques points obscurs qui devraient aiguiser notre curiosité, ici au Gabon et ailleurs. Par exemple, sur l’homme, quand mourut-il et qui furent ses descendants ? Sur la ville qui porte son nom, que reste-t-il de sa mémoire ? Je n’ai pas de réponse tranchée à ces questions : juste quelques pistes de recherche.
Pas un Yanga, mais plusieurs Yanga!
En Amérique (surtout Latine) et dans les Caraïbes, même si chaque pays a son propre héros noir, certains d’entre eux ont été et sont véritablement emblématiques come réceptacles de la déportation massive des Africains, comme théâtres des révoltes de ces Africains et comme actuels points focaux de l’afro-descendance. Et le Mexique ne s’est illustré que très récemment dans le combat pour la reconnaissance de l’identité et des droits des communautés d’origine africaine, avec le mouvement « Mexico negro ». Et ce combat se joue, non pas à Yanga, mais sur la côte de l’Océan Pacifique, dans une région appelée Costa Chica.
D’ailleurs, sait-on que dans la ville de Yanga aujourd’hui, trouver un Noir natif des lieux revient à dénicher un grain de blé dans un sac de riz ? Or la population afro-mexicaine, évaluée à quelques millions de personnes, est concentrée autour du port d’Acapulco. Là, vous trouverez des Noirs aussi noirs que vous et moi, ou bien plus ou moins métissés. De vraies beautés féminines sans le « kwanza ». Ils vivent dans des communautés rurales éparpillées entre les États de Guerrero et Oaxaca. Ils ont même édifié l’extraordinaire musée de la culture afro-mexicaine dans la ville de Cuajinicuilapa : ce musée abrite des objets de l’artisanat local où s’exprime leur africanité, vous y trouverez des balafons au style de Bitam, des kandas au style de Koula-Moutou. Donc, des instruments de musique bien de chez-nous. Et, le palmier à huile n’existant pas sur la côte du Pacifique, c’est à partir du cocotier que ces Afro-mexicains produisent leur vin de palme…
Ces communautés avaient été étudiées pour la première fois dans les années 1950 par le médecin-anthropologue mexicain Gonzalo Aguirre Beltrán, le pionnier de la recherche afro-mexicaine. C’est son livre Cuijlá, esbozo etnográfico de un pueblo negro publié en 1958, qui attira l’attention des autorités de son pays sur la curieuse existence d’un peuple afro-mexicain. Depuis lors, les anthropologues et historiens mexicains et états-uniens s’acharnent à essayer de comprendre et expliquer cette présence insolite des Africains dans ces lieux.
D’où sortent-ils ceux-là ?
En effet, comment ces Noirs étaient-ils parvenus jusqu’à la côte du Pacifique, si le seul port négrier mexicain était Veracruz, sur l’Océan Atlantique ? Nous avons déjà vu qu’au port d’Acapulco, beaucoup de Noirs esclaves étaient affectés au chargement et au déchargement des bateaux reliant Manille et le Mexique. D’autres Noirs étaient des muletiers dévoués au transport de la marchandise entre Veracruz, Mexico et Acapulco. Quelques autres encore travaillaient dans les estancias et haciendas éparpillées dans une vaste zone peu occupée par les Espagnols. Et bien évidemment, il y en avait plusieurs autres qui avaient pris la clé des champs, pour devenir kilombistes. Mais, chez tous ces Noirs turbulents, il devait se passer quelque chose entre ceux de Veracruz et d’Acapulco. Les correspondances officielles étaient carrément alarmantes au XVIIe siècle, c’est-à-dire avant, pendant et après l’assaut contre Yanga le 26 janvier 1609 : les Africains semblaient se soulever partout dans les environs des ports de Huatulco et Acapulco. Il y avait
d’autres foyers autour de la ville de Puebla, d’où était d’ailleurs partie l’expédition espagnole contre Yanga (et on avait alors fait interdiction aux Noirs de Puebla de sortir de la ville). La cartographie de la rébellion noire montre clairement que celle-ci s’étendait de l’Atlantique au Pacifique, une zone appelée « La Mixteca » et englobant les États actuels de Guerrero, Oaxaca, Puebla et Veracruz. Lors de l’assaut de 1609 contre Yanga, Juan Laurencio nous dit que, blessé et sur le point de mourir, l’un des Noirs déclara que Yanga et les siens, pour échapper à la poursuite espagnole, s’étaient dirigés vers la forêt de « La Mixteca ». Ce détail, qui n’a jamais été relevé, permet de supposer que cette forêt de « La Mixteca » devait être la plus inexpugnable, le lieu le plus sûr où les Espagnols ne pourraient jamais parvenir à les dénicher. Yanga et son lieutenant et frère angola, Francisco de la Matosa, se seraient-ils rendus dans « La Mixteca » où ils auraient rejoint, en coexistence pacifique avec les Indiens et hors de portée des agressions espagnoles,
toute cette zone de kilombos anonymes, qui resta longtemps isolée du creuset national mexicain forgé pendant les guerres d’indépendance de 1810 à 1820 ? Aujourd’hui, les communautés noires de la Costa Chica représentent tout ce que le Mexique compte de population afro-descendante. Ils y assument avec un vif orgueil leur héritage de peuple rebelle mexicain et d’origine africaine.
Où, quand et comment Yanga est-il mort ?
Mais pour en revenir à Yanga, on reste curieux de connaître les circonstances de sa mort. Nous avons vu qu’en Colombie, après lui avoir octroyé la liberté à contrecœur, les Espagnols avaient tendu un traquenard à Biogo, qui fut capturé et pendu nuitamment en 1621. Mais les sources restent muettes au sujet des circonstances de la mort de Yanga. On sait simplement que c’est dans la chaleur de cette guerre que, le 6 mai 1609, le Roi d’Espagne avait autorisé le vice-roi Luis de Velasco d’accorder la liberté et un lieu de résidence à Yanga et à ses hommes. Ce que les sources primaires montrent, c’est que le 24 mai 1609, après avoir accepté de négocier avec les Espagnols les conditions de leur « reddition », les rebelles africains avaient repris les hostilités. Déçu, le vice-roi attribuait ce revirement à certains Espagnols de mauvaise vie qui s’entendaient avec les Noirs et leur donnaient de mauvais conseils. Le 30 juin 1609, le même vice-roi Luis de Velasco donnait ordre aux détenteurs de toutes les caisses royales d’y puiser les fonds
nécessaires à la poursuite de la campagne et, même jusqu’en 1611, les documents comptables font encore état des dépenses de guerre contre Yanga.
Or au début de l’année 1611, une esclave noire était morte par suite de maltraitance. Lors de son enterrement, les autres Noirs de la ville décidèrent de la venger. Une foule de 1.500 Noirs promena le cercueil de la défunte dans les rues de Mexico. La manifestation fut durement réprimée car certains leaders furent emprisonnés, arrêtés et publiquement bastonnés, d’autres furent exilés hors du pays. Le besoin de vengeance n’en fut que plus aigu chez les Noirs. Son organisation fut attribuée à un Noir très fougueux et déterminé, appelé Pablo. On précise que lui et sa femme, Maria, étaient originaires d’Angola. Le soulèvement fut prévu pour le 25 décembre 1612 lors d’une cérémonie au cours de laquelle le couple serait couronné comme Roi et Reine. Mais de report en report, les préparatifs de la conspiration parvinrent aux oreilles des autorités, à travers deux négriers portugais qui avaient surpris deux Noirs discutant de l’imminence du soulèvement en « langue angola ». Les villes de Mexico et Puebla furent placées sous couvre-feu.
On décida d’arrêter les principaux leaders de toutes les confréries noires de Mexico, des caches d’armes furent découvertes. C’est ainsi que le 12 mai 1612, de neuf heures du matin à deux heures de l’après-midi, trente-cinq Noirs furent publiquement pendus en plein centre de Mexico. Et parmi eux, il y avait cinq femmes. Les cadavres des principaux leaders furent écartelés par des chevaux,leurs têtes coupées furent accrochées aux potences.
Un historien local de la ville de Cordoba suggère que Yanga avait été invité par les Espagnols à Mexico pour y poursuivre les négociations de paix : un véritable guet-apens où le héros fut capturé, pendu et écartelé comme les autres rebelles. « C’est par cette sorte de traîtrise que « Bioho avait été tué à Carthagène des Indes en Colombie.
Cependant, on peut douter que le vieux rebelle bantu ait fait confiance aux perfides espagnols en se rendant candidement à leur invitation. Par contre, il serait plus vraisemblable de penser que Yanga, ayant eu vent des préparatifs du soulèvement noir de Mexico, s’y soit rendu volontairement afin d’y prendre part.
Cependant, dans sa note du 31 janvier 1619 le vice-roi Diégo Fernández de Córdoba annonçait que relativement aux Noirs rebelles, ses soldats venaient de capturer le caudillo noir (sans dire son nom) et, avec lui, les chefs les plus belliqueux qui, depuis près de cinquante ans, hantaient la zone montagneuse entourant la ville de Cordoba, qui venait d’être fondée justement dans le but de combattre Yanga. En plus des tués, les militaires espagnols avaient ramené trente-six prisonniers aux fins de poursuites judiciaires. Et le Roi d’Espagne de répliquer : Bien fait. Mais dans des cas similaires, les coupables devraient être exécutés sans aucune forme de procès…
Nfeign-Effack, le 09 octobre 2024