Source : Albert Yangari*
«Le président Léon Mba était de ceux qui, peu nombreux, trouvaient que ce processus était quelque peu précipité, le Gabon ne disposant que de trop rares cadres politique et administratifs. Et pas du tout d’une bourgeoisie composée d’hommes et de femmes d’affaires susceptibles de prendre la relève des grands comptoirs et des exploitants forestiers. Mais ne souhaitent contrarier les aspirations des populations gabonaises. Il s’est rallié à la majorité de ses compatriotes qui se sont prononcés au référendum pour le oui à l’Indépendance en 1958 : le Gabon serait indépendant et libre de sa destinée en même temps que la plupart des autres peuples d’Afrique francophone.
A l’issue des élections territoriales de 1957, 40 député sont élus et répartis comme suit : Union socialiste et démocratique (USDG) 20 ; Indépendants 12 ; Boc démocratique gabonais (BDG) 8. Mais avec le concours des forestiers et de l’administration coloniale, le BDG de Léon Mba a réussi se rallier un député de l’UDSG et les 12 députés indépendants qui lui ont donné la majorité.
C’est ainsi qu’échut à Léon Mba, leader du BDG, le 17 août 1960 à zéro heure l’insigne honneur de prononcer la déclaration de l’indépendance du Gabon.
Au lendemain de jour historique comme le présentait le père de la patrie, tout restait à faire. Car n’en déplaise aux nostalgiques, la situation du Gabon à cette époque était loin d’être enviable et la vie de quelque 450 000 nationaux qui peuplaient le Gabon, particulièrement difficile.
Rappelons que le Colonisateur avait pris le parti de développer le Congo français voisin au détriment du Gabon, véritable vache à lait de la fédération de l’Afrique équatoriale française. Tout restait donc à faire pour Léon Mba et les siens. Et d’abord, de faire des quarante ethnies qui peuplaient le Gabon une Nation.
La tâche n’a pas été aisée, on s’en souviendra. Crise parlementaire, gouvernementale, partisane, coup d’Etat militaire, etc. se succèdent. L’économie ne génère à cette époque que peu de ressources, les exportations de manganèse, d’uranium et de pétrole débutant à peine. Seul le bois, dont l’exploitation était limitée aux forêts proches de l’océan, contribuait au budget de l’Etat.
Pendant dix ans, les Gabonais auront à souffrir du manque d’infrastructures, de la pénurie de cadres nationaux – tant administratifs que techniques – , des défaillances d’un système éducatif et sanitaire peu développé, d’un exode rural accéléré venant accroitre la paupérisation des populations Urbaine, etc.
A contrario, cette période peut être considérée comme l’âge d’or de l’assistance technique dont le coût élevé était, in fine, supporté par la Nation.
Dès les années soixante-dix, la situation va s’améliorer rapidement grâce à la politique de grands travaux d’infrastructures financés par les recettes générées par le premier choc pétrolier. Des milliers d’emplois vont être créés dans la Fonction publique et par le secteur privé qui se diversifie afin de répondre à la forte demande de l’Etat. Les thuriféraires d’un régime présidentiel, s’appuyant sur l’unanimité d’un parti unique, ne cesseront pas d’en attribuer tout le mérite au pouvoir politique et à l’homme qui l’incarne, le président Omar Bongo. Même si les adversaires du régime présidentiel contestèrent cette analyse, il leur faut bien reconnaitre que le niveau de la vie de nos concitoyens a augmenté régulièrement et que le Gabon a été cité en exemple partout ailleurs en Afrique, attirant des milliers d’immigrés ouest-africains, camerounais et équato-guinéens venus occuper les emplois que nos compatriotes dédaignaient.
Cette embellie va durer une vingtaine d’années pendant lesquelles les jeunes cadres gabonais bénéficiaires des milliers de bourses d’Etats vont fréquenter la nouvelle université nationale et d’autres universités et grandes écoles en dehors du pays. A leur retour, ils occupèrent les emplois jusqu’alors tenus par des expatriés et constituèrent une nouvelle classe sociale apte à assurer la relève de la génération de l’Indépendance. Mais l’on sait que les peuples ne se nourrissent pas que de biens matériels.
Si la liberté nouvelle que l’indépendance du pays a largement consacrée a un sens, c’est bien d’aider les concitoyens gabonais à s’investir d’une autonomie réelle. Lesquels aspiraient à la liberté de s’exprimer, en dehors du cadre fixé par le gouvernement et par les « penseurs » du parti unique. Certains, animés d’ambitions politiques, adhèrent à des mouvements clandestins qui contestent la suprématie inamovible du parti unique et réclamaient le retour au multipartisme. Ils manifestèrent leur mécontentement lors des évènements de la gare routière de décembre 1981 dont le principal organisateur était Simon Oyono Aba’a qui deviendra, plus tard à sa sortie de prison, ministre de l’ouverture.
Le Gabon entre alors dans une période mouvementée qui débouche sur la tenue d’une Conférence nationale, la légalisation des partis politiques, des élections pluralistes aussitôt contestées par les perdants, des manifestations voire des émeutes, des grèves, etc. Après de multiples péripéties, le Gabon trouvera le calme, le régime du président Bongo ayant eu l’intelligence de mettre en place des mécanismes permettant l’épanouissement d’une véritable démocratie dans le cadre d’un parlement bicaméral (…) ».
* Ancien directeur de la publication et de la rédaction de l’Union