L’abbé Noël Ngwa Nguema, directeur de publication du journal Misamu, l’initiateur de l’aide à la presse écrite, pour restaurer la dignité des journalistes. Mais à l’allure où vont les choses, cette subvention aurait perdue son esprit d’antan !
Par Hippolyte Bitegue
En l’an 2000, de grâce, le journal Misamu, dirigé avec brio par feu M. l’abbé Noël Ngwa Nguema (paix à son âme !), directeur de publication dudit organe de presse, avait remporté le prix Liberté et démocratie à Genève, en Suisse. De retour au Gabon, feu Omar Bongo (pas de paix à son âme !) voulut célébrer cette distinction internationale qui honorait son pays. « Stop ! », lui aurait intimé l’abbé. « …si tu tiens tant à célébrer cette victoire, donne-moi cet argent, je vais le redistribuer à mes confrères des autres organes de presse… », aurait suggéré l’abbé Noël. C’est nous qui caricaturons sur la base de ce que le prêtre lui-même nous avait raconté. « …Noël, c’est ton grand cœur qui va te tuer… », aurait répondu ya Omar. Nous sommes toujours dans la caricature.
Bref ! Toujours est-il que Noël Aimé Ngwa Nguema a ferraillé dur avec Omar Bongo pour que la presse écrite privée libre au Gabon soit subventionnée par l’Etat. D’autant plus qu’Omar venait d’apprendre qu’au Sénégal, pays bien moins nanti que le Gabon, cette subvention est de l’ordre du milliard de FCFA chaque année. De sa propre cagnotte, le généreux Omar sortit deux cent cinquante millions (250 000 000) de FCFA, complétés par deux autres cent cinquante millions sortis des caisses du trésor. Soit un total de cinq cent millions (500 000 000) de FCFA que le président Bongo fit inscrire dans la loi de finances annuelle de l’Etat.
Logée au départ au Conseil national de la communication (CNC) pour la répartition, le président de cette institution à l’époque, feu Pierre Marie Dong, ayant voulu jouer au jeu favori des PDGistes, c’est-à-dire détourner ou, du moins ponctionner sa part, Omar Bongo, mis au courant, tapa du poing sur la table et ordonna que la subvention soit gérée par le ministère de la Communication.
Les choses se passaient pratiquement ainsi, et bien, tant qu’Omar et Noël étaient encore en vie. Chaque organe de presse avait, au bas mot, entre 20 et 22 millions de francs cfa tous les ans. Pour ceux qui remplissaient tous les critères d’éligibilité, la quote-part avoisinait les soixante (60) millions de francs. Ce qui permettait et garantissait une parution et un fonctionnement réguliers de tous ces organes pro gouvernementaux ou d’opposition confondus. Et Dieu seul sait que tous les journaux n’étaient pas toujours tendres avec ya Omar. Mais ce dernier ne les privait pas pour autant de leur subvention qui était devenue un acquis. Tout au plus c’était le CNC qui faisait du zèle en sanctionnant à tort et à travers les titres hostiles au pouvoir.
Nous préférons faire l’économie de ce qu’était devenue la subvention à la presse privée sous Ali Bongo. Un vrai cauchemar ! Les éditeurs de presse ont trimé, tiré le diable par la queue pour paraître. Les plus vulnérables ont mis la clef sous le paillasson. D’autres ont pactisé avec le diable en se compromettant avec des hommes politiques pour survivre. Et quand les thuriféraires d’Ali daignaient penser à la presse, le montant alloué n’avait rien à voir avec ce qu’Omar et l’abbé Noël avaient négocié. 127 millions sur 500 000 000 à répartir entre un peu plus d’une soixante de titres auxquels on avait malicieusement ajouté la presse (leur presse) en ligne.
Les plus chanceux arrivaient à obtenir un peu plus de deux millions, sinon c’étaient trois cent malheureux mille francs qu’on remettait à un organe pour fonctionner sur une année. Il est évident qu’un organe presse, même le plus squelettique, privé de publicité et dans un pays où les coûts d’impression sont les plus prohibitifs au sud du Sahara, ne peut pas vivre même avec cinq, voire dix millions de francs par an. Voulait-on tuer la presse écrite libre qu’ils ne s’y sont pas pris autrement. Et, effectivement, beaucoup de titres ont disparu des kiosques au profit d’une presse en ligne soudainement florissante, insolemment riche et plutôt encline à encenser le pouvoir d’Abo…
42 patates pour une division qui divise : C’est ainsi que lorsqu’Oligui et son CTRI arrivent au pouvoir, quand il annonce et promet de ramener le montant de la subvention à la presse privée à son taux initial, quels ne furent pas la joie et le soulagement des patrons d’entreprises de presse ! Auraient-ils chanté trop tôt qu’aujourd’hui ils déchantent ? On dirait… Le président a, effectivement, tenu sa promesse de rehausser le montant de la subvention. Malheureusement, c’est au niveau de la répartition que ça coince. C’est ici qu’intervient la métaphore de l’arachide du deuil, un us camerounais pratiqué lors des veillées mortuaires qui consiste à placer une corbeille pleine d’arachides à l’entrée de la maison mortuaire et tous ceux qui veillent le mort s’y servent.
A la vue des 500 millions, les vautours des ministères du Budget et de la Communication sont en train de frétiller comme un jeune homme qui vient de voir les fesses d’une femme nue. Outre-tombe, Omar et Noël doivent se retourner mille fois. Les fins mathématiciens du budget, sans base légale aucune, ont, derechef, ponctionné 15 %. Les beaux parleurs et les longs crayons de dame Ndong Laurence se sont attribué, toujours sans base légale, 42 patates pour effectuer une simple division de 500 millions entre tant de journaux qui remplissent les critères. Quand on dit enrichissement illicite, enrichissement sans cause, la CNLCEI ne voit pas.
Voilà des gens, des Gabonais, qui ont eu un emploi à vie stable, sécurisé et bien payé à la fonction publique qui entravent d’autres Gabonais qui, eux, ont pris le risque, sur fonds propres, d’entreprendre au privé et que l’Etat a décidé d’aider. C’est aux éditeurs de presse qu’on exige d’avoir un siège (donc un loyer à payer), de s’acquitter de l’impôt, de payer une redevance à la Hac, d’assurer leurs employés aux organismes de garantie sociale, etc. et qui ne comptent que sur les revenus des ventes de leurs journaux mal distribués par une société qui leur ponctionne aussi 60 % de leurs ventes.
Et quand l’Etat décide de leur venir en aide, parce qu’ils participent, tout de même à la vitalité de la démocratie et soulagent bien des familles, il faut encore que les mauvais génies du ministère de la Communication s’arrogent 42 millions pour avoir effectué une division qui, finalement…divise les patrons de presse. Car il y en a qui ont couru pour aller récupérer cette obole quand d’autres ne sont pas du tout d’accord avec cette manière de faire. 42 millions peuvent faire fonctionner correctement, au moins, deux organes de presse de taille moyenne pendant un an. Ils vont finir, illégalement et en toute impunité dans les poches de fonctionnaires grassement rémunérés par la même République qui veut nourrir équitablement tous ses enfants.
Le plus cruel est que malgré ces dénonciations et récriminations, le ministère de la Com’ fait comme l’eau sur le dos du canard. Aucun remords ! Ah, Omar Bongo ! «Est-ce que Dieu leur a donné le droit de faire ce qu’ils font là » ? Ils n’ont peut-être pas lu Birago Diop. Ne savent-ils pas que les morts ne sont pas morts ? Qu’ils ne sont pas sous terre, pas seulement dans l’ombre qui s’éclaire, dans l’arbre qui frémit, dans le bois qui gémit…? Ils sont aussi dans la foule, dans la demeure, dans les bureaux feutrés, dans les voitures climatisées dans les chauds édredons des lits moelleux.