Suite à la publication de l’article intitulé: «Chômage des jeunes diplômés de l’UOB: responsabilités partagées», paru le 1er octobre 2024 sut tendancegabon.net en ligne, nous avons reçu la réaction du Professeur Nicolas Ngou Mvé, enseignant-chercheur à la retraite, et que nous publions intégralement ici.

La réaction du Professeur : «Cet article trempe dans la guéguerre que l’on fait habituellement dans notre pays aux enseignants-chercheurs en général et tout singulièrement à ceux des Lettres et Sciences Humaines, qui seraient inutiles au pays puisqu’ils ne formeraient que des chômeurs. Ah, les chercheurs et les enseignants-chercheurs ! Dans ce pays où l’on cultive le goût du moindre effort, au point d’en faire un trait de notre culture, ces hommes et femmes dont le métier consiste à créer du savoir et à le transmettre, seront toujours voués aux gémonies.

Sans avoir été mandaté pour parler au nom des enseignants-chercheurs, ni au nom des syndicats d’enseignants, ni au nom de qui que ce soit, je sollicite d’exprimer ce que l’on peut ressentir à la lecture de cet article, lorsqu’on a été longtemps un simple enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines.

L’inutilité des enseignants-chercheurs ?

D’un côté, il faut dire que cette critique n’est pas nouvelle. Le Général de Gaulle ne disait-il pas que « les chercheurs qui cherchent, on en trouve. Mais les chercheurs qui trouvent, on en cherche » ? Pourtant, ce sont les chercheurs français qui ont fait de la France une puissance nucléaire. Et ces chercheurs ont été préalablement formés et ont travaillé simultanément dans les universités comme enseignants-chercheurs. Et les exemples sont légion. Cette critique de De Gaulle contre les chercheurs est donc aussi ancienne qu’injustifiable.

Celle de votre article sur les enseignants-chercheurs de l’UOB est, elle-même, aussi répandue qu’injuste. Dans l’ancien comme dans l’actuel régime de la transition, on a entendu et on entend des ministres déclarer ouvertement que les anthropologues, les sociologues et autres, on n’en a que faire au Gabon. Et, relayée par vous les journalistes, une telle affirmation tourne en boucle dans les réseaux sociaux. Sapristi !

Les disciplines des Lettres et Sciences Humaines n’ont pas été inventées au Gabon. Elles ne sont pas l’exclusivité du Gabon, loin s’en faut. Elles existent partout dans le monde et, si elles étaient si inutiles ou pernicieuses, il y a belle lurette que les sociétés industrielles ou post-industrielles les auraient abandonnées. Or, ailleurs qu’au Gabon, là-bas où nos enseignants-chercheurs ont été formés, ces mêmes disciplines sont toujours enseignées et des enseignants-chercheurs y font encore de belles et brillantes carrières universitaires.

Si chez-nous, l’opinion publique, les ministres et autres décideurs estiment que le Gabon devrait être le seul pays à ne former que des gens employables tout de suite, pourquoi continuer à laisser fonctionner ces structures universitaires productrices de chômeurs ? L’on n’a qu’à fermer les centres d’enseignement et de recherche en Lettres et Sciences Humaines !

Mais avant d’en arriver là, les décideurs devraient d’abord se demander et comprendre pourquoi ces instruments, inutiles chez-nous, continuent de fonctionner sous d’autres cieux et pourquoi ne forment-ils que des chômeurs chez-nous et non des jeunes prêts à l’emploi.

Pourtant dans les années 2010, le système LMD avait été introduit chez-nous pour permettre aux étudiants eux-mêmes de construire des parcours devant les conduire à des professions de leur choix et de leurs rêves. Pourquoi en est-on toujours là ?

Á quoi utilise-t-on les enseignants-chercheurs en Lettres et Sciences Humaines ?

D’un autre côté, celui des enseignants-chercheurs en Lettres et Sciences Humaines de l’UOB, ces critiques peuvent trouver justification dans leur tendance à rester dans leur tour d’ivoire, sans communiquer et vulgariser extra-muros leur quête, leurs acquis et leur production du savoir dans leurs disciplines respectives. Nous sommes trop obnubilés par la montée en grade par la voie du CAMES ou par des voies parallèles, ce qui permet d’arrondir de mieux en mieux les fins de mois des fonctionnaires que nous sommes, coupés de tout autre projet rémunérateur de l’État ou des grandes entreprises. Et l’on comprendra pourquoi nos productions ne s’adressent qu’à nos pairs, seuls habilités à nous évaluer.

Mais à quel moment les décideurs se sont-ils adressés aux anthropologues et sociologues pour solliciter leur expertise face à des problèmes sociaux, politiques, économiques et culturels bien précis? Y a-t-il des projets gouvernementaux où les enseignants-chercheurs en Lettres et Sciences Humaines gabonais ont été sollicités et où ils ont révélé leur inutilité? Ce n’est pas tout de nommer à tel ou tel poste, tel ou tel individu, enseignant-chercheur rencontré lors d’un bouillon familial au quartier, pour dire que les enseignants-chercheurs sont bien sollicités.

Dans des pays pétroliers de l’Amérique Latine, les archéologues, historiens et autres spécialistes des Lettres et Sciences Humaines sont sollicités avant le lancement de travaux d’exploration pétrolière marine, sous-marine ou terrestre. L’État gabonais fait-il obligation aux entreprises pétrolières, minières ou forestières de s’en référer aux universitaires des Lettres et Sciences Humaines pour l’obtention du moindre contrat ? Les enseignants-chercheurs en Lettres et Sciences Humaines de l’UOB ont été formés et couvrent un large spectre du savoir humain. Ils ont été formés et sont rémunérés à coup de millions. Mais en plus de transmettre leur savoir, leur rôle est aussi d’en produire. Or ils sont utilisés au Gabon uniquement comme des enseignants. Pourtant le volet pédagogique de leur longue formation et de leur évaluation au CAMES n’est pas plus contraignant que leur volet de chercheur et de producteur du savoir. Comment l’État gabonais utilise-t-il ce volet ?

En outre, la société gabonaise elle-même, d’où sont issus les enseignants-chercheurs, a-t-elle pensé une seule fois à soumettre ses doléances aux enseignants-chercheurs qu’elle a produits et formés? Bien sûr, l’on ne manquera pas de nous opposer des cas isolés d’initiatives lancées dans ce sens. Comme on ne manquera pas de désigner ces tonnes de mémoires, de doctorats et de travaux en tous genres et en toutes disciplines, menés à titre individuel ou collectif par des chercheurs, jeunes ou chevronnés, avides de satisfaire des besoins de savoir sur des pans entiers des sociétés et des cultures dont ils sont issus et dont ils sont porteurs. Ce savoir accumulé depuis un demi-siècle à l’UOB croupit malheureusement dans les bibliothèques des Départements et Centre de Recherches de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, couvert de poussière. Au «Temple du savoir », toute personne avide de savoir devrait pouvoir entrer sans aucun rite initiatique préalable, comme dans un moulin.

Du coup, la créativité du chercheur se trouve émoussée par cette cécité ou cet ostracisme des décideurs et de la société elle-même vis-à-vis de jeunes cerveaux bien formés qui ont besoin d’activer leur savoir-faire et d’offrir leur savoir à la Nation. D’ailleurs le problème de l’insertion des jeunes diplômés n’affecte pas que ceux diplômés par l’UOB. De très nombreux jeunes chômeurs ont été formés à l’extérieur du Gabon, parfois aux frais de ce même État qui n’arrive pas à leur trouver du travail.

Si les lourdeurs de l’État gabonais n’arrivent pas à adapter son enseignement supérieur aux exigences d’un monde en frénétique évolution, pourquoi des formations pointues acquises ailleurs sont-elles également au chômage chez-nous ? L’État et ceux qui sont chargés de décider en son nom sur l’adéquation entre les missions universelles de l’Université et les besoins de la Nation, ainsi que la société elle-même, doivent reconnaître qu’ils ont failli non seulement dans le regard et le jugement qu’ils portent sur leur université, mais surtout, en amont, sur la définition des objectifs et des moyens qu’ils ont assignés à cette université et à ses enseignants-chercheurs, puis en aval, sur l’utilisation qu’ils en font ou sur les résultats qu’ils en attendent. Vouloir faire des enseignants-chercheurs l’UOB le bouc-émissaire de cette situation est tout simplement injuste.

Nfeign-Effack, le 03 octobre 2024″.

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