«Je ne serai heureux que lorsque les Gabonais seront heureux». C’est la profession de foi que fit Bongo Ondimba Ali au lendemain de son élection «truquée» en 2009.
Par Hippolyte Bitegue
Sur le coup, beaucoup de Gabonais crurent en la bonne foi de l’homme ; d’autant que pendant la campagne électorale, Bongo Ondimba Ali (BOA) avait fait des promesses mirobolantes, pour ne pas dire chimériques aux Gabonais : 5 000 logements par an, Smig à 150 000 FCFA, construction d’infrastructures, dont des barrages hydro-électriques, des universités, des routes praticables en toute saison, etc.
Effectivement, pendant les premiers mois de son magistère, l’homme avait donné des gages de rupture d’avec une ancienne gouvernance erratique, spasmodique, hasardeuse et patrimonialité de la «res publica ». De quoi, rendre les Gabonais heureux, eux qui ne demandent que si peu pour l’être.
Et ils avaient applaudi les premières mesures prises par BOA et étaient convaincus qu’avec l’ex-musicien, l’heure était à l’avènement d’une nouvelle ère, à l’essor vers la félicité. Le balayage d’anciens indécrottables barons du régime de son « père » de leurs « titres fonciers » dans les arcanes des pouvoirs de décision fut salué avec soulagement et enthousiasme. Pour donner le ton d’un changement en trompe-l’œil, lui-même avait changé de coiffure.
Heureux, le fils de feu Omar Bongo (paix à son âme !), l’a été pendant 14 bonnes années à jouir de l’usufruit de son géniteur. Brassant et dilapidant aux quatre coins de la planète des milliards de Francs CFA des Gabonais, le fils de Kama Joséphine, alias Patience, ne se refusait aucun fantasme puéril : courses de bateaux, baby-foot en diamant, PlayStation, carnavals de Brésiliennes, voyages d’agrément pour aller suivre des matchs de football en Europe, construction de stades pour abriter des Can improductives, achat de voitures haut de gamme, d’hôtels particuliers, etc., le tout assaisonné d’arrogance, de verbe haut, de mépris, d’embastillement des opposants, de musèlement de la presse non aux ordres, d’humiliations de haut cadres, commis et dignitaires de la République.
Bref, BOA vivait le nirvana, c’était un petit dieu sur terre, le Zeus gabonais à qui tout était dû. Si, au moins, le terrible rejeton d’Omar ne s’était contenté que de jouir de la vie. Mais non ! Obnubilé par le goût de vivre, de vivre trop bien, et enivré de puissance, le «Boa» s’est aussi mis à détruire… Ce qui, a contrario, a plongé le peuple, pieds et poings liés et à la vitesse grand V, dans la misère la plus abjecte, voire dans la mendicité.
La preuve la plus éclatante que BOA est un mythomane patenté est la grève qui vient de se déclencher dans la zone économique spéciale de Nkok qu’il brandissait, tel un trophée, comme vitrine de réussite de sa gouvernance économique. Certes, la Zes de Nkok a engendré des emplois pour de nombreux Gabonais, notamment des jeunes, mais dans quelles conditions ?
Le chapelet de violations du code du travail gabonais est tout simplement effroyable : absence de contrats de travail, pas de bulletins de salaire, horaires de travail hors normes, heures supplémentaires non rémunérées, pas de bus de transport, pas de couverture sociale malgré les prélèvements sur des salaires déjà dérisoires, entre autres… On se demande comment et pourquoi des étrangers (Indiens, Singapouriens, Chinois et autres Malaisiens…) ont pu ainsi, sous l’œil complaisant, voire complice, des administrateurs et inspecteurs du travail gabonais, maltraiter d’autres Gabonais qui enrichissent pourtant leurs entreprises exonérées de taxes et autres impôts, pendant 25 ans, selon le contrat (léonin ?) signé entre l’Etat gabonais (sous l’ancien régime) et cette zone spéciale. C’est tout simplement inhumain. La Zes de Nkok n’est pas seule dans ces cas de maltraitance, voire d’exploitation de l’homme par l’homme !
D’une certaine manière, le «Boa» ne sait peut-être pas que son éviction du pouvoir a rendu les Gabonais heureux depuis le matin du 30 août 2023. Ne dit-on pas que «le malheur des uns fait le bonheur des autres » ? Pourtant, rien de spécial, de fondamental ou de nouveau n’a concrètement changé dans le quotidien du Gabonais lambda, mais c’est la joie, la bonne humeur, la bonhomie qui ornent désormais les visages des Gabonais.
Se réveiller le matin sachant qu’un Bongo n’est plus au pouvoir au Gabon constitue déjà en soi une sorte de thérapie, un bonheur indescriptible. Il se raconte même qu’au matin du 30 août, lorsque certains malades alités dans des hôpitaux ont appris que les militaires ont pris le pouvoir, ils ont subitement et miraculeusement trouvé la guérison.
C’est dire ! Certes, le Gabonais lambda ne brasse pas des milliards comme l’ex-locataire du palais du bord-de-mer pour être heureux, parce que l’argent ne fait pas toujours le bonheur, mais le seul fait de se savoir débarrasser des Bongo l’enivre de bonheur, tout le contraire d’un «Boa» isolé, abandonné, bref malheureux. Pour résumer et paraphraser «Boa», on peut dire aujourd’hui que les Gabonais, eux, sont heureux parce que lui, BOA, est malheureux !